ET LA GUERRE S’ÉTERNISE

Otto Dix: Soldat soldat blessé (1916)

ET LA GUERRE S’ÉTERNISE

15 mois se sont écoulés depuis que les chars russes ont pénétré en Ukraine et la guerre continue. Des centaines de milliers de personnes sont tuées ou mutilées, n’est-ce pas suffisant ? Non, ce n’est pas suffisant. Pas pour les capitalistes des deux parties en conflit, enfermés dans leurs jeux de pouvoir, envoyant sans ménagement les enfants de la classe ouvrière dans les champs de bataille tout en vérifiant leurs comptes bancaires à l’étranger.

Il n’y a pas de fin en vue à cette guerre. Les deux camps préparent une offensive de printemps. Il semble que le massacre ne s’arrêtera que lorsque l’un des belligérants, ou les deux, seront à court de chair à canon. Cela devient un problème pour eux. Des centaines de milliers de personnes ont fui les deux pays pour éviter d’être enrôlées de force. En Ukraine, des applications spéciales circulent pour signaler les endroits où les recruteurs sont à l’affût. La Russie a encore des centaines de milliers de soldats en réserve, mais le Kremlin ne leur fait pas confiance. Sinon, pourquoi ne les envoie-t-il pas au front ? Ou bien est-ce pour maintenir l’illusion qu’il ne s’agit pas d’une guerre, mais simplement d’une “opération militaire spéciale” ? Au lieu d’utiliser ces bataillons entraînés, les prisons sont vidées et tous ceux qui souhaitent rejoindre les mercenaires et les jeunes recrues (pour la plupart originaires de provinces éloignées) sur le front reçoivent une “carte de sortie de prison”. La prison ou le front ? Que choisiriez-vous ? C’est une nouvelle façon de jouer à la roulette russe. Compte tenu des conditions de vie dans les prisons russes, nombreux sont ceux qui tentent leur chance.

L’enthousiasme de la population pour la guerre s’est considérablement refroidi. Il était déjà faible en Russie, mais les signes de désaffection se multiplient désormais en Ukraine également. Mais cela ne suffit pas à arrêter cette folie. Le fait que la classe ouvrière des deux pays accepte encore que ses fils et filles soient sacrifiés, en si grand nombre, sur l’autel de la fierté nationale pour la détermination des frontières entre les terrains de chasse de leurs dirigeants n’est guère rassurant.

Les désertions se multiplient, malgré les risques. Les parlements russe et ukrainien ont démocratiquement approuvé des peines sévères pour les déserteurs, allant jusqu’à 12 ans en Ukraine et la prison à vie en Russie. Et puis il y a les peines extra-légales, car “à la guerre comme à la guerre”, la guerre a ses propres règles. Un déserteur de la brigade Wagner a été exécuté à coups de masse. Beaucoup s’enfuient encore. Mais la désertion et la résistance contre les recruteurs ne sont pas encore des actes collectifs massifs, c’est pourquoi ils sont si vulnérables à la répression féroce de l’État et n’empêchent pas la poursuite de la guerre. En Russie comme en Ukraine, la classe ouvrière continue de travailler, de fabriquer des armes et tout ce que ses patrons peuvent vendre avec profit. Le chômage est élevé, l’inflation augmente rapidement tandis que les salaires stagnent et que la peur règne.

Malgré tous les morts et les destructions, il ne s’agit pas encore d’une guerre totale. La Russie tente encore de la mener de manière à limiter son impact sur la majorité de sa population. Les États-Unis et leurs alliés de l’OTAN ont intensifié leurs livraisons d’armes à l’Ukraine, faisant de son armée l’armée terrestre la plus puissante d’Europe, mais ils ne lui ont pas donné d’armes telles que des missiles à longue portée et des avions de chasse qui pourraient étendre la guerre au territoire russe. Alors qu’en Europe, la perspective d’une guerre sans fin sur son flanc oriental commence à susciter quelques doutes au sein de la classe dirigeante, pour le capitalisme américain, c’est exactement ce que le médecin a ordonné. Le secrétaire américain à la défense, Lloyd Austin, a ouvertement déclaré que l’objectif des États-Unis dans cette guerre était d’affaiblir la Russie en tant que puissance militaire et que plus la guerre durerait, plus ils y parviendraient.

Ils pensent déjà à la prochaine guerre. À Washington, les démocrates et les républicains, qui se chamaillent à tout propos, sont solidement unis pour augmenter le niveau d’hostilité à l’égard de la Chine, le principal ennemi (avec pour effet secondaire une augmentation des crimes haineux contre les Américains d’origine asiatique). Le budget militaire américain devrait dépasser le cap des mille milliards de dollars cette année, éclipsant les dépenses de tous les autres pays, avec à l’esprit l’éventualité d’une guerre avec la Chine. La Chine accélère elle aussi ses dépenses militaires (bien qu’elles représentent encore moins d’un quart de celles des États-Unis). “L’Ukraine nous a permis de mieux comprendre la possibilité d’une future guerre mondiale”, a écrit le général Meng Xiangqing, directeur adjoint de l’Institut de recherche stratégique de l’armée, dans le quotidien Guangming. Il a noté que l’arsenal nucléaire de la Russie avait freiné l’intervention des États-Unis dans la guerre et a appelé à un renforcement plus rapide de la capacité nucléaire de la Chine, ainsi qu’à l’augmentation du nombre de satellites pour la collecte de renseignements et à une multitude d’autres dépenses. C’est ce qui se passe. En Europe également, et dans le monde entier : partout, la classe dirigeante augmente les dépenses militaires, se préparant à de nouvelles guerres. Et partout, elle veut que la classe ouvrière paie pour cela. L’austérité est le mot d’ordre. Travailler plus longtemps, pour des salaires érodés par l’inflation et moins d’avantages sociaux, voilà ce dont votre pays a besoin. La faim, la détérioration des soins de santé, l’insécurité, la guerre et les catastrophes climatiques, voilà ce que le capitalisme nous réserve, à vous et à moi.

Mais la classe ouvrière, la grande majorité de la population dont les intérêts s’opposent à ceux du capital, n’est pas un troupeau de moutons que des chiens aboyeurs maintiennent facilement dans le droit chemin. La vague actuelle de luttes au Royaume-Uni et en France en témoigne. Cette dernière montre en particulier une radicalisation1, une compréhension croissante que l’ennemi n’est pas seulement Macron ou le patron, mais l’ordre social capitaliste lui-même.

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Nous publions ci-dessous un article de Raoul Victor sur la guerre en Ukraine paru précédemment en français sur le site Spartacus. Non pas que nous soyons d’accord avec chaque phrase 2 mais parce qu’il s’agit d’un excellent aperçu de la genèse de la guerre et d’une démystification claire des mensonges qui sont racontés à son sujet. Il montre comment le capitalisme et la guerre sont inséparables. Il souligne le poids croissant du “complexe militaro-industriel” sur le cours du capitalisme et la continuité de la lutte interimpérialiste. La guerre froide n’a jamais vraiment pris fin. On ne peut pas comprendre cette guerre si l’on pense qu’elle a commencé en 2022.

Une chose qu’il ne souligne pas cependant, c’est le lien entre cette guerre et la crise actuelle du capitalisme. Comme nous l’avons déjà dit, ce n’est pas une coïncidence si la guerre a éclaté en Europe, si les tensions entre l’Occident et la Chine semblent avoir atteint les niveaux d’avant-guerre (encore tempérées par leur interdépendance économique) et si le système capitaliste a atteint un point de crise sans aucune issue en vue. Une nouvelle orgie de création monétaire pour gagner du temps, comme cela a été fait depuis 2008, est, compte tenu du climat inflationniste, impossible. Mais elle sera utilisée à nouveau s’il le faut, pour défendre la croyance en la valeur de l’argent, en la valeur du capital, malgré tout le capital fictif qui s’est ajouté à la cagnotte totale du pouvoir d’achat. Dans ce contexte de crise, imposer l’austérité à la classe ouvrière, c’est ce que font tous les États, d’une manière ou d’une autre. Et l’attrait de la guerre devient plus fort. La guerre pour la possession du capital, des ressources, du pouvoir, qui se traduit par le profit, car c’est bien de cela qu’il s’agit, comme le montre éloquemment le texte ci-dessous.

PERSPECTIVE INTERNATIONALISTE

1Un rapport intéressant sur la lutte en France est disponible ici. Quelques citations : “L’alternative – faire face et lutter – semble inévitable pour beaucoup. Une situation de conflit entre les forces sociales, contre la classe capitaliste, est en train de naître, même parmi ceux qui ont longtemps préféré la voie plus facile de la réforme. Cette situation particulière a fait émerger une sensibilité autrefois souterraine, éclairant d’un jour nouveau l’absurdité de la condition du travail salarié, vue maintenant dans la perspective de l’état de délabrement du monde et des difficultés de la vie. Le travail est devenu pour beaucoup synonyme de précarité, de vie violente, d’appauvrissement, de destruction des êtres. Il suffit de rapporter les innombrables pancartes et slogans individuels des manifestations françaises, avec leur richesse d’imagination, pour saisir le sentiment général de rejet de cet état de fait. Ce ne sont plus seulement des manifestations syndicales réclamant des négociations dans le cadre d’une réforme, ce sont aussi des manifestations contre le fonctionnement de l’économie et les intentions des maîtres du monde, contre une vision du monde.(….) Il est significatif que l’ambiance des manifestations continues exprime l’idée que nous pouvons perdre cette bataille mais que nous avons créé une force et qu’il y aura un autre avenir. (…) C’est une mobilisation dont le moteur principal est un désir qualitatif de changer l’ordre des choses, de remettre en cause la logique mortifère du capitalisme. “Le capitalisme doit prendre sa retraite”, pouvait-on lire sur une pancarte brandie le 7 février.

2Nous ne sommes pas d’accord, par exemple, avec son affirmation selon laquelle l’opération de santé COVID a contribué à résoudre la crise économique mondiale. Au contraire, elle a aggravé la crise. Mais il s’agit là d’un autre débat.

La guerre et le capitalisme: Le cas de l’Ukraine

Avec la mort, la famine et la conquête, la guerre faisait partie des quatre cavaliers de l’Apocalypse. Ils annonçaient la fin d’un monde… et l’avènement d’un nouveau.

Les humains, comme les autres grands singes, portent dans leur ADN une “pulsion” de survie qui les pousse à coopérer avec les autres membres de leur groupe. Nous naissons avec les réflexes, les automatismes qui nous permettent de désirer et de pratiquer la coopération et l’entraide. Des germes qui ne se développent qu’au contact du reste de la communauté mais qui sont biologiquement présents. Alors pourquoi tant de guerres, pourquoi tant de violences meurtrières entre humains depuis des millénaires ? Pourquoi en sommes nous arrivés à développer les moyens matériels de l’auto-destruction guerrière de notre espèce ?

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